Troquer une partie de ce qu'il reste de leur autonomie fiscale contre des impôts nationaux "dynamiques". C'est, en substance, le marché que propose aux collectivités territoriales et leurs groupements la mission pilotée par Alain Richard et Dominique Bur, dans le rapport sur la refonte de la fiscalité locale qu'elle a remis le 9 mai en fin de journée au Premier ministre (en téléchargement ci-dessous).
Dans sa lettre de mission du 12 octobre dernier, Edouard Philippe avait demandé à l'ancien ministre de Lionel Jospin et au préfet honoraire de réfléchir à "une révision d'ensemble de la fiscalité locale" dans l'éventualité d'une suppression intégrale de la taxe d'habitation. Lors du congrès des maires de France, puis lors de la promulgation de la loi de finances pour 2018, le président de la République avait confirmé la fin de la taxe d'habitation pour l'ensemble des contribuables. Une décision qui crée un "trou" de 23 milliards d'euros environ (26,3 milliards en 2020) dans les recettes du bloc communal (en incluant les compensations d'exonérations).
L'un des scénarios envisagé par la mission laisse intacte l'autonomie fiscale des départements et entaille celle du bloc communal. En effet, une fraction de TVA serait allouée à ce dernier – sans possibilité d'en moduler le taux –, ainsi, "le cas échéant", qu'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), mais seulement "en complément".
Tout le produit du foncier bâti pour les communes ?
Dans un deuxième scénario, qui se rapproche des propositions que le Comité des finances locales a formulées fin février (voir notre article), les départements renonceraient au produit de la taxe sur le foncier bâti (13,8 milliards d'euros en 2016), soit le dernier impôt majeur sur lequel ils ont un réel pouvoir de taux. Cette ressource serait affectée aux communes et à leurs groupements "au prorata de leurs anciennes recettes de taxe d'habitation". Concrètement, à l'échelle de chaque territoire intercommunal, l’EPCI et l’ensemble de ses communes membres se partageraient l'ancien taux de taxe foncière départementale. Dans cette hypothèse, les communes rurales et une partie des petites villes seraient mieux compensées que les autres, dans la mesure où le taux de taxe sur le foncier bâti de leurs départements "est souvent élevé", alors que leurs recettes de taxe d'habitation "résultent d’un taux local faible". Cette situation rendrait nécessaire la mise en place d’un mécanisme de garantie individuelle des ressources à la fois communal et intercommunal. En complément de la part départementale de la taxe sur le foncier bâti, le bloc communal se verrait affecter une part de TVA représentant 9,2 milliards d'euros. En sachant qu'il bénéficierait de l'entière "dynamique" de la taxe.
Au sein de ce scénario, la mission propose une alternative consistant à transférer aux communes l'intégralité de la taxe sur le foncier bâti (y compris la part intercommunale qui s'est élevée à 1,3 milliard d'euros en 2016). Pour être complètement compensées, les communes percevraient en plus 1,2 milliard d'euros de dotations de l'Etat. Là encore, un fonds de garantie individuelle serait mis en place, car 29% des communes seraient sous-compensées. En remplacement des taxes d'habitation et foncière (8 milliards d'euros), les EPCI à fiscalité propre se verraient attribuer essentiellement, ou totalement, une fraction de TVA.
Quel que soit le scénario retenu, "des mécanismes incitatifs de modération fiscale" de la taxe sur le foncier bâti, mais aussi de la cotisation foncière des entreprises (CFE) seraient instaurés pour remplacer les actuelles règles de plafonnement et de liaison des taux, qui actuellement prennent pour référence la variation de la taxe d'habitation. La mission se prononce à cet égard pour "un encadrement plus strict" qu'aujourd'hui.
Les DMTO départementaux transférés à l'Etat
A la place de la taxe sur le foncier bâti, les départements bénéficieraient d'une part de TVA. Comme le feraient les représentants du bloc communal dans l'autre scénario, les représentants des départements tiendraient régulièrement des réunions avec l'Etat – par exemple dans le cadre de la conférence nationale des territoires – pour faire le point sur le partage des impôts nationaux. Ce serait un changement d'importance pour les départements. Mais la mission préconise de ne pas en rester là. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), une ressource de 10 milliards d'euros en 2016, à l'évolution imprévisible et répartie très inégalement selon les départements, ne sont pas adaptés au financement des dépenses sociales de ces derniers, estime-t-elle. De plus, pointent ses membres, l'importance des DMTO freine "la fluidité du marché immobilier" et "la mobilité résidentielle des travailleurs". Les experts préconisent par conséquent de retirer aux départements le bénéfice des DMTO au profit de l'Etat, à charge pour lui de baisser progressivement le taux de cette taxe. Les départements seraient compensés par une part de CSG, ce qui nécessiterait de surmonter une probable réticence des partenaires sociaux.
Parmi les taxes additionnelles à la taxe d'habitation au devenir desquelles la mission s'est intéressée figure notamment la taxe facultative pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Cette taxe entrée en vigueur en ce début d'année, mais encore peu mobilisée par les EPCI à fiscalité propre, "présente un certain nombre de difficultés", selon la mission. Qui recommande au gouvernement de "poursuivre la concertation avec les élus afin de réfléchir à une autre solution de financement moins morcelée et mieux intégrée", au niveau du bassin versant.
Oui à la révision des valeurs locatives des logements
Pour la mission, la contribution à l'audiovisuel public, aujourd'hui recouvrée avec la taxe d'habitation pourrait être collectée demain à l'occasion de la campagne de déclaration de l'impôt sur le revenu.
La mission juge par ailleurs que la suppression de la taxe d'habitation ne réduit pas l'intérêt d'une révision des valeurs locatives pour les 43 millions de locaux d'habitation. En l'engageant d'ici fin 2018, cette révision pourrait entrer en application au plus tôt à l'automne 2024.
"D'autres chantiers devraient être ouverts dans le cadre de la 'refonte de la fiscalité locale'", estiment les spécialistes des finances locales. Ils mettent en avant une nécessaire évolution de l'exonération totale de taxe sur le foncier bâti de 25, voire 30 ans, dont bénéficient aujourd'hui 20% du parc de logements sociaux. Les communes concernées – dont beaucoup ont des difficultés budgétaires – ont subi une perte qui s'est élevée à 370 millions d'euros en 2016. Limiter l'exonération à "50% sur une durée de 50 ans" permettrait "un retour fiscal plus rapide" en faveur des collectivités. Parmi les autres chantiers, la mission prône la poursuite de la réduction du nombre des petites taxes, ou encore la généralisation de l'intercommunalité à fiscalité professionnelle unique (par la suppression du régime de la fiscalité additionnelle).
Enfin, après la refonte de la fiscalité locale, une réforme profonde de la péréquation devra être menée pour "atténuer les inégalités territoriales", estime la mission. Il faudra pour cela tenir compte de "la dynamique de l’ensemble des ressources des collectivités territoriales".
Taxer les résidences secondaires
La mission rejette l'idée de modifier la définition de l'autonomie financière des collectivités territoriales et donc la notion de ressources propres figurant dans la loi organique de 2004, qui inclut les ressources dont l'assiette et le taux ne sont pas définis par les collectivités elles-mêmes.
Il n'y aura pas d'impôt nouveau durant le quinquennat : la mission fait sienne ce mot d'ordre de l'exécutif. Cela la conduit à exclure la création d'une imposition qui serait payée par l'ensemble des résidents d'une commune, même sous une forme progressive. Une telle taxe, d'un montant inférieur à la taxe d'habitation, est souhaitée par les associations d'élus locaux, afin de maintenir un lien fiscal entre les personnes qui n'acquittent pas la taxe foncière et leur commune de résidence.
Le maintien des taxes d'habitation sur les logements sous-occupés et sur les résidences secondaires (sous la forme d'une contribution "additionnelle" à la taxe sur le foncier bâti) pourrait générer un produit de 2,8 à 3 milliards d'euros en 2020. Cela serait très insuffisant pour compenser le coût de la suppression intégrale de la taxe d'habitation, estimé entre 10,3 et 10,6 milliards d'euros en 2020 et non intégré dans la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. "Le surcroît de recettes fiscales que l’amélioration de la conjoncture économique laisse entrevoir" ne suffira pas non plus, prévient la mission. Elle avance plusieurs pistes de financement, comme "la renonciation à certains allègements fiscaux déjà intégrés à la trajectoire des finances publiques" et "la suppression ou la réduction de certaines 'niches' de TVA". L'Etat devra aussi consacrer à la compensation de la taxe d'habitation les "nouvelles mesures d’économie" qu'il "arrêtera dans le processus de modernisation aujourd’hui engagé".
La suppression intégrale de la taxe d'habitation, étalée entre 2020 et 2021 ?
Toute création d'un nouvel impôt est "catégoriquement" écartée, a réaffirmé Matignon dans un communiqué suite à la remise du rapport. L'"objectif", précise le gouvernement, est "que la réforme soit largement financée par des économies budgétaires". Dans ce but, le gouvernement étudierait, selon l'AFP, la possibilité d'étaler la suppression intégrale de la taxe d'habitation "sur 2020 et 2021", alors que la mesure avait été annoncée par le gouvernement "à partir de 2020".
Les élus locaux seront consultés sur le dossier dès la prochaine réunion de l'instance nationale de dialogue de la Conférence nationale des territoires qui se tiendra le 17 mai prochain (dans la perspective de la conférence qui aura lieu fin juin ou début juillet). Le gouvernement ne compte pas perdre de temps. Pour la mission, de premières mesures devront figurer dans le projet de loi de finances pour 2019 et l'essentiel de la réforme s'inscrire dans un projet de loi de finances rectificative qui serait adopté au premier semestre 2019.
D'ici là le chemin sera sans doute compliqué pour l'exécutif. L'Assemblée des départements de France a déjà annoncé dans un communiqué qu'elle "s’oppose fermement" au transfert de la taxe foncière et des DMTO.
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