Après vingt mois d'activité, le groupe de travail des collectivités engagées dans l'Open Data se dote d'une personnalité morale. La création d'"Opendata France", annoncée à Toulouse le 9 octobre, ne modifie pas fondamentalement l'agenda, mais les villes partenaires souhaitent désormais asseoir leur représentativité et accentuer leur coopération, car l'ouverture des données publiques représente un axe stratégique de développement économique, de transparence pour la démocratie locale et de modernisation des administrations.
"L'association est l'outil, le levier et la vitrine dont nous avions besoin pour exister plus formellement", explique Jean-Marie Bourgogne, responsable du programme Montpellier territoire numérique, l'un des co-animateurs de la nouvelle structure. En effet, Opendata France, désormais présidée par Pierre Cohen, maire de Toulouse et président de la communauté urbaine de Toulouse Métropole, accueille la composante "élus" jusque-là peu représentée et pourtant essentielle dans l'action et les décisions collectives. En outre, l'association représentera officiellement ses membres dans les instances nationales et associatives engagées sur l'Open Data.
"Il y a aussi beaucoup à faire sur un chantier sans véritables limites", ajoute de son côté Armelle Gilliard, chef de projet des services numériques de la communauté urbaine de Bordeaux et co-animatrice de l'association. En effet, la publication des jeux de données, ne représente que la partie visible d'un dispositif d'animation complexe fondé sur l'accompagnement des producteurs – les collectivités territoriales –, sur celui des réutilisateurs – start-up, associations, citoyens… – et sur l'harmonisation des outils et des référentiels entre tous les acteurs afin de réduire les effets du morcellement.
Une conjoncture moins favorable à l'ouverture des données
Le besoin de consolidation est aussi à l'ordre du jour, car le contexte de l'Open Data semble désormais moins favorable. Après une année 2012, plutôt faste, marquée par une série de lancements très médiatisés, la croissance s'est nettement ralentie. Les priorités budgétaires des collectivités territoriales se sont déplacées, d'autant qu'après l'enthousiasme des premières heures, les résultats économiques, comme l'appropriation citoyenne attendue, ne semblent pas au rendez-vous. Certes, les initiatives locales ont donné lieu à de nouveaux services sur le web et à des applications nouvelles sur smartphones, mais les acteurs sont toujours à la recherche d'un modèle économique durable. La plupart des initiatives résultent des concours assortis de "subventions" et de quelques opérations citoyennes, réalisées pas des start-up sur leur budget "promotion".
Revoir les modalités d'intervention
Ces constats ont conduit à réviser, adapter et amplifier l'action publique. "Aujourd'hui nous savons qu'il ne suffit pas de lancer des appels à projets ou d'organiser des hackatons (1) pour obtenir des résultats. Sans un effort plus continu, les projets risquent de s'arrêter", résume Jean-Marie Bourgogne. L'essentiel repose en effet sur la médiation : "Mettre en relation producteurs et réutilisateurs, sensibiliser les services en interne, mener également des actions auprès du grand public", complète Sandrine Mathon, chef de service administration à la DSI du Grand Toulouse, également co-animatrice du groupe.
Au-delà de différences d'objectifs assez marquées (2), toutes les collectivités partagent aujourd'hui à peu près les mêmes conclusions. Ce que résume Pascal Romain, chef de projet responsable du portail de la Gironde : "Je ne crois pas en la génération spontanée. La création d'un écosystème durable autour des données publiques repose de plus en plus sur un processus d'animation permanent, ponctué par l'organisation de quelques grands événementiels récurrents. En outre, tout miser sur la seule option économique me semble dangereux. L'impact de l'Open Data sur la modernisation des institutions publiques locales et sur la vie citoyenne vaut la peine d'y consacrer du temps et d'élargir notre périmètre d'intervention."
Producteurs, réutilisateurs et citoyens…
Les bonnes pratiques identifiées des collectivités mettent en lumière trois domaines d'intervention nouveaux.
Dans l'organisation interne des collectivités locales, au-delà de la production des jeux de données, les effets induits de l'Open Data sont désormais plus visibles sur le volet "réutilisation". Les échanges de services à services, notamment, se fluidifient. En croisant le jeu de données localisées des permis de construire et le filaire du projet de réseau très haut débit sur un système d'information géographique (SIG), une communauté urbaine a pu identifier en 48 heures les zones d'aménagement urbain stratégiques permettant d'optimiser son plan de déploiement. Dans un cadre de demande classique, la validation puis la mise à disposition des informations, auraient sans doute pris plusieurs semaines. Et l'idée d'un tel croisement n'aurait peut-être jamais été envisagée. Aussi la présence d'une plateforme dédiée à l'ouverture des données accélère-t-elle la sensibilisation des agents et contribue à faire émerger une véritable culture d'usage. Jusque-là, les données étaient peu visibles ou difficiles à exploiter, dans des "silos" protégés. Elles deviennent aujourd'hui visibles, accessibles et sont ainsi mieux exploitées.
Les réutilisateurs très sollicités via les appels à projets, les concours et les hackatons, font l'objet d'un travail de sensibilisation plus direct : prise de contact direct, mise en relation avec les services producteurs pour améliorer la connaissance des attentes et des besoins. L'animation s'oriente vers les start-up de la filière numérique et vers les entreprises de services (utilités) dans une optique de développement d'applications et de serious games. Les Dataviz, nouvelle forme ergonomique de présentation de certains résultats, permettent d'élagir le cercle des réutilisateurs aux écoles de journalisme et, plus généralement, au secteur de l'éducation et de la formation.
Quant aux citoyens, au-delà de l'appropriation des données publiques diffusées, la co-production organisée avec les habitants est une forme d'animation prometteuse. Les cartoparties organisées avec les habitants ont contribué à la mise à jour des cartes thématiques sur le Wiki cartographique Open Street Map (Bretagne, Gironde, Montpellier), les descriptions des ressources touristiques faites par les habitants ou encore le recensement de certains services (distributeurs de préservatifs) contribuent à valoriser le patrimoine et les services existants. Ces croisements peuvent se révéler payants mais ce, il est vrai, au prix d'un effort d'accompagnement parfois difficile à maintenir durablement.
Bientôt de nouvelles obligations pour les collectivités… comment s'y préparer ?
L'association devrait aussi renforcer son rôle dans l'accompagnement des collectivités. Les lois de décentralisation vont introduire de nouvelles obligations pour les communes de plus de 3.500 habitants en matière d'ouverture des données publiques. Elles seront tenues de rendre accessibles en ligne les données à fort potentiel de réutilisation (transports publics, gestion des déchets, des services de l'eau, de la voirie, des activités économiques, des données budgétaires), ce qui ne sera pas sans effets sur l'organisation et sur la dépense publique.
De plus, ces obligations en matière de données publiques posent déjà la question de leur réutilisation : dans quel contexte ? Sur quelles plateformes ? Et à quel prix ? La dissémination des points d'accès (2.800 communes comptent en effet plus de 3.500 habitants) risque en effet de complexifier la réutilisation (un peu moins si l'opération s'effectue au niveau intercommunal). Il convient déjà de réfléchir à une architecture compatible : on imagine mal les réutilisateurs devoir se connecter à 1.000 voire 2.000 points d'accès pour exploiter nationalement certains jeux de données. Comme le rappelait récemment sur son blog le directeur d'Etalab, Henri Verdier, "les données prennent de plus en plus de sens et de valeur à mesure qu'on les agrège". Faute, donc, d'une réflexion sur les formats et sur l'urbanisation des données publiques, on risque de créer un système inutilisable. Opendata France pourrait être amenée à s'investir sur ce dossier qui n'est guère éloigné de ceux qu'elle traite aujourd'hui au sein de ses groupes de travail, d'autant qu'avec ses choix de gouvernance – une collectivité égale une voix –, les communes rurales devraient s'y sentir plus à l'aise.
Qualité des données : croiser exigences locales et nationales
Autre dossier délicat, celui de la qualité des données libérées. Sur son site, l'association Libertic - l'un des partenaires d'Opendata France - signale encore de réelles faiblesses dans les démarches locales : valeur inégale des données publiées, structures de fichiers modifiées sans avertissement, manque d'ambition sur la transparence, multiplication des licences, absence de suivi des concours, manque de données "d'intérêt démocratique", ouverture très relative des organisations… Ces pointeurs sont autant d'axes de travail sur lesquels l'association planche aujourd'hui. Et sur ce point, l'échange des bonnes pratiques commence à payer, comme s'en réjouit Sandrine Mathon : "Nous préparons un catalogue des catalogues au niveau national qui devrait créer une émulation entre les collectivités. Il devrait plus facilement inciter les partenaires à compléter leurs jeux de manière à proposer des ensembles cohérents au niveau national, quitte à les agréger ensuite lorsque le travail de normalisation des champs sera stabilisé."
L'association prépare de nouveaux partenariats
La relation des collectivités territoriales avec Etalab, l'une des trois directions du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique dédiée à l'Open Data, s'est fortement resserrée. Jean-Marie Bourgogne rappelle qu'une première réunion de travail organisée en début d'année a conduit à définir quelques axes de travail communs. "Ce rapprochement et quelques autres du même type nous ont incités à accélérer la constitution de l'association. Sans ce statut de personne morale, il nous était difficile, voire impossible de travailler avec des partenaires comme le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le Centre national de la recherche scientifique ou l'Adullact", confirme-t-il. Le souci de renforcer la collaboration entre territoires supposait également l'établissement d'une plus forte légitimité avec la nouvelle implication des élus. "Alors qu'il nous arrivait souvent de constater nos limites de techniciens, la présence des élus va donner plus de poids à notre action", reconnaît Sandrine Mathon.
Pour les prochaines étapes, on reparlera de mutualisation (veille technologique et benchmark, animation, normalisation du catalogue national, consolidation juridique, évaluation), d'une animation renforcée (organisation de concours nationaux et locaux) et, surtout, de l'accompagnement des collectivités territoriales dans le développement de leurs projets.
Au-delà des difficultés conjoncturelles, l'ouverture des données publiques va se poursuivre. Mais la réussite, particulièrement sur le volet économique, reposera sur la capacité des institutions publiques locales et nationales à lever l'obstacle du morcellement, de l'éparpillement ; sur leur volonté, aussi, d'établir des formats d'échanges, des référentiels communs. Opendata France est engagée dans ce "combat" mais elle ne pourra le gagner sans l'engagement des collectivités qu'elle représente et sans la présence d'un Etat stratège à ses côtés, capable de prendre les bonnes décisions. Les initiatives récentes vont dans le bon sens, mais il faudra poursuivre l'effort et tenir dans la durée.
Opendata France : carte de visite
L'association est présidée par Pierre Cohen, maire de Toulouse et président de la communauté urbaine de Toulouse Métropole. Elle rassemble aujourd'hui cinq communautés urbaines (Toulouse Métropole, Nantes Métropole, Rennes Métropole, la communauté urbaine de Bordeaux et la communauté urbaine du Grand Lyon), neuf communes (Toulouse, Nantes, Rennes, Montpellier, Bordeaux, Paris, Digne-les-Bains, Brocas et Balma), quatre conseils généraux (Saône-et-Loire, Gironde, Loire-Atlantique, Paris) et une région (Paca). Trois organisations sont membres associés : Etalab, association Libertic et Fondation Internet Nouvelle Génération. Par ailleurs, sept collectivités (Nice, la région Ile-de-France, l’AggloPau, Strasbourg, Angers, la région Nomandie et Loire Métropole) ont annoncé leur intention de rejoindre l'association.
Rappelons qu'elle compte huit groupes de travail (animation, place de marché et app, dataset, observatoire de l'opendata, indicateurs, vulgarisation, juridique, gouvernance).
Ses principaux chantiers :
- mise en place d'un dispositif d'information, de conseil et de soutien nécessaire à l'ouverture des données publiques,
- favoriser le développement de productions communes à tous ses membres,
- émulation croisée entre les animations de l'Etat (Dataconnexion) et celles des collectivités locales (concours, hackatons) sur la base de campagnes thématiques communes (santé, emploi, eau…),
- standardisation des catalogues et de la publication des données sur les portails (agrégation des métadonnées, réflexion sémantique en vue d'un référencement plus "naturel" des données publiques, faciliter les recherches croisées et la création de thématiques communes),
- réflexion sur l'introduction d'une clause plus favorable à l'ouverture des données dans les marchés publics,
- partage des bonnes pratiques (animation/médiation, production et maintenance des données, différentes formes de réutilisation…).
(1) Marathons créatifs réunissant pendant une journée ou deux des développeurs pour réaliser des prototypes et des services innovants.
(2) Le conseil général de la Saône-et-Loire, par exemple, cible plutôt les citoyens et les acteurs économiques, Toulouse les réutilisateurs développeurs, tandis que Montpellier met l'accent sur la coproduction citoyenne et que Paca fédère les communes autour d'une plateforme commune...
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