L'Académie nationale de médecine a validé, le 22 février, un rapport de trois de ses membres intitulé "Faciliter l'adoption nationale". Ce document d'une vingtaine de pages s'appuie sur un constat : la baisse continue des adoptions nationales - passées de 1.749 en 1985 à 726 en 2008 -, alors que les adoptions internationales ont fortement progressé, passant de 960 en 1980 à 3.504 l'an dernier (après un pic à 4.136 en 2005). Sur les 726 adoptions nationales de 2008, 594 concernaient des orphelins, des enfants abandonnés ou nés dans le secret, tandis que 132 étaient des enfants dits "en danger", ayant fait l'objet d'une mesure administrative et judiciaire. La première composante de l'adoption nationale restant relativement stable au fil des ans, c'est la contraction de la seconde composante qui explique le recul global de cette forme d'adoption. Or l'Académie de médecine constate que ce recul de l'adoption nationale ne tient ni à une diminution du nombre d'enfants faisant l'objet d'une mesure officielle de protection (265.061 enfants en 2007, soit 1,86% des mineurs), ni à une pénurie de familles candidates à l'adoption. Le rapport en tire la conclusion que "la véritable cause est ailleurs : l'adoption en France est difficile". Les auteurs en veulent pour preuve la multiplication des lois récentes sur le sujet (1996, 1998, 2002, 2005 et 2007). L'ordinogramme qu'ils ont réalisé pour l'occasion montre effectivement la complexité des procédures.
Le "sacro-saint lien biologique"
Le rapport pointe notamment l'éclatement de la compétence judiciaire en la matière, le manque d'échanges entre Justice et conseils généraux, l'hétérogénéité des dispositifs selon les départements, ou encore la lenteur du processus, "conséquence gravissime pour l'enfant". Mais il s'attarde surtout sur deux situations particulières qui posent la question du retrait de l'autorité parentale et, par conséquent, de la possibilité d'adoption de l'enfant. La première concerne la maltraitance. Celle-ci touche officiellement 19 à 20.000 enfants chaque année. Sans créer un lien systématique entre maltraitance et adoptabilité de l'enfant, le rapport s'étonne de la réticence des juges à prononcer le retrait de l'autorité parentale et s'interroge sur le contenu à donner à la notion d'"intérêt supérieur de l'enfant". Les auteurs voient dans la situation présente une mise en avant systématique du "sacro-saint lien biologique", qui pousse les juges et les services sociaux à une interprétation extensive de l'article 375-2 du Code civil ("Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel"). Ils rappellent notamment que, sur les 132 adoptions d'enfants en danger prononcées en 2008, seules six l'ont été après un retrait total de l'autorité parentale.
La seconde situation concerne le désintérêt parental. L'article 350 du Code civil prévoit en effet que "l'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance [...]". C'est peu dire que cette disposition est rarement mise en œuvre. Le nombre de pupilles de l'Etat admis après déclaration judiciaire d'abandon a ainsi diminué de 70% entre 1989 et 2008, au profit de la délégation de l'autorité parentale, qui ne rend pas l'enfant adoptable. La récente mise en place des "visites obligatoires médiatisées" joue également contre la notion de délaissement, puisque le juge peut contraindre les parents naturels à rencontrer l'enfant, en présence d'un travailleur social. Selon les auteurs du rapport, les juges et les travailleurs sociaux vivraient le désintérêt parental comme un échec de leur intervention et auraient donc du mal à le reconnaître.
Des propositions qui dérangent
Ces considérations amènent l'Académie de médecine à adopter une recommandation demandant que "l'adoption nationale ne soit plus exceptionnelle". Pour cela, elle formule un certain nombre de propositions. Certaines ont déjà été avancées et visent plutôt les aspects organisationnels : simplification des structures administratives et judiciaires, renforcement du pilotage du dispositif par le Conseil supérieur de l'adoption, ou encore création d'un observatoire de l'adoption dans chaque département. Une proposition concerne directement les médecins, puisqu'elle consisterait à rendre obligatoire le signalement des sévices avérés sur un enfant, alors que celui-ci est actuellement laissé - du moins en théorie - à la discrétion du praticien.
D'autres propositions devraient faire sursauter les juges pour enfants et les travailleurs sociaux. L'Académie estime ainsi qu'"en cas de sévices avérés, un retrait des droits parentaux, qui permet l'adoption, doit être, même sans condamnation pénale, prononcé sans délai, l'intérêt supérieur de l'enfant justifiant en pareil cas le sacrifice du lien biologique avec les parents maltraitants". De même, elle propose de rendre l'adoption simple irréversible (comme l'adoption plénière) et d'instaurer une période de "six mois d'observation attentive" pour apprécier un éventuel désintérêt parental vis-à-vis d'un enfant placé en institution ou en famille d'accueil. Plus surprenant, l'Académie préconise la création, à côté des familles d'accueil rémunérées, d'une filière de familles d'accueil bénévoles, choisies parmi les candidates agréées à l'adoption. Ceci "permettrait aux candidats de montrer la priorité qu'ils accordent au bonheur de l'enfant". Si les tentatives de relancer la notion de délaissement n'ont guère eu de suite jusqu'à présent (voir nos articles ci-contre du 1er avril et du 9 juin 2009), les recommandations de l'Académie de médecine auront au moins le mérite de relancer un débat trop souvent tabou.
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