"Nous ne pouvons plus attendre", "nous devons choisir maintenant", "nous n'avons pas le choix", "une fois de plus il aurait fallu attendre ?", "nous avons peut-être déjà trop attendu"… Nicolas Sarkozy ne manquait pas de variantes, ce 8 février devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), pour exprimer la nécessité d'engager une réforme de la dépendance. Le chef de l'Etat clôturait devant l'assemblée présidée par Jean-Paul Delevoye une matinée d'échanges censée marquer le lancement du "grand débat national" préalable à la réforme. Roselyne Bachelot était intervenue au préalable pour rappeler le mode d'emploi de ce débat notamment structuré par les quatre groupes de travail que vient de mettre en place le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale. En sachant qu'en parallèle, le Cese s'est précisément vu confier par Matignon une mission relative aux "principaux enjeux auxquels doit faire face notre système de prise en charge de la dépendance et sur les différentes évolutions envisageables". Une commission temporaire "dépendance" a ainsi été créée la semaine dernière au sein du conseil. Présidée par David Gordon-Krieff (président de l'Union nationale des professions libérales), avec pour rapporteurs Monique Weber (CFE-CGC) et Yves Vérollet (CFDT), le rapport de cette commission est attendu pour juin. Autrement dit, lorsque s'achèvera le temps de débat décidé par le chef de l'Etat, qui a brièvement redonné mardi l'échéance envisagée : "Six mois pour en parler, quelques semaines pour prendre les décisions", puis "un projet de loi avant l'été, pour un examen au Parlement à l'automne". Il n'a cette fois pas redit si le texte en question serait le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012… ni, contrairement à ce qu'a pu indiquer Roselyne Bachelot à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, si le coeur de la réforme pourrait être remis à 2012, voire au-delà…
Morale et responsabilité...
Nécessité et urgence, donc, face aux "difficultés inextricables dans lesquelles sont plongées tant de familles" et dans la perspective d'une "montée en charge de la dépendance, qui n'en est qu'à ses débuts". Tel était le premier message. Le deuxième : pas question de limiter la réflexion à l'enjeu financier. Le chef de l'Etat l'a dit et décliné : "Il faut élever le débat pour embrasser le problème dans toutes ses dimensions", "s'intéresser au seul angle financier serait une erreur", "il faut traiter la question dans le cadre des politiques de santé publique", "on ne fera pas la réforme si on considère la dépendance seulement comme un problème à résoudre", "la dépendance n'est pas qu'un problème financier, elle est aussi une question morale" et une question de "dignité", "l'enjeu est humain, affectif, moral"… Et Nicolas Sarkozy d'évoquer l'enjeu de fond selon lui essentiel, celui de "la place du grand âge dans notre société". Puis d'esquisser ce qui devrait représenter quelques grands "axes" de la réflexion. Pour commencer : permettre aux personnes concernées de "rester le plus longtemps possible dans leur environnement familier", miser sur "l'entourage familial et la proximité". Mais aussi, une autre idée maîtresse, "que la question de la responsabilité des familles soit au coeur" de la réflexion, le chef de l'Etat évoquant "la dette" qu'aurait chacun vis-à-vis de son aîné. "La société n'est pas là pour remplacer les familles", a-t-il insisté, tout en évoquant le soutien que doivent apporter "les collectivités, les associations, les professionnels". S'agissant de ces professionnels, songeant visiblement surtout aux intervenants de l'aide à domicile, Nicolas Sarkozy a pointé la nécessité de "relever leur statut social", d'"améliorer leurs conditions de travail et de rémunération", ajoutant : "Rendre la demande solvable ne suffit pas, il faudra aussi structurer l'offre."
"Universalité et paritarisme"
Abordant - malgré tout - au final le volet financement, le président estime que la question à se poser doit être : "A quoi sommes-nous prêts à renoncer aujourd'hui pour être couverts demain ?" Sachant que "seulement une personne âgée sur cinq est en mesure de financer sur ses seuls revenus son hébergement en maison de retraite", que "25 milliards d'argent public sont dépensés chaque année" - une somme qui "a augmenté de un milliard par an au cours des quatre dernières années" - et que "beaucoup de départements se débattent dans des difficultés financières de plus en plus grandes"… il faudra bien trouver "une nouvelle source de financement". Nicolas Sarkozy invite les débatteurs à "examiner toutes les solutions possibles", sauf une : il a d'emblée exclu la possibilité de "taxer davantage le travail".
Pas question en revanche d'exclure "pour des raisons idéologiques" la piste de l'assurance privée. "Quand nos finances publiques sont dans la situation où elles sont, quand le travail est à ce point taxé, quand cinq millions de Français ont déjà souscrit une assurance dépendance, est-il raisonnable de ne pas s'interroger sur le rôle que peuvent jouer les mutuelles, les compagnies d'assurances et les organismes de prévoyance ?", s'est-il demandé.
"Il nous faut sans doute inventer autre chose que le modèle traditionnel de couverture des risques par la sécurité sociale", a-t-il également déclaré, tout en assurant ne pas avoir "parlé de cinquième risque par hasard". Il aurait jusqu'ici parlé de cinquième risque afin de mettre en avant les principes d'"universalité" - "que personne ne soit exclu" - et de "paritarisme". "Il s'agit bien d'associer les partenaires sociaux, mais aussi d'autres acteurs comme les départements. Il s'agit donc d'inventer une nouvelle forme de paritarisme", a-t-il expliqué à ce titre. Avec une précaution de rigueur : "Je n'ai pas l'intention d'utiliser la dépendance pour privatiser insidieusement l'assurance maladie."
Enfin, le chef de l'Etat a précisé qu'il n'avait pas non plus "l'intention de diluer le handicap dans la dépendance", estimant que "la dépendance pose un problème bien différent, à aborder en tant que tel", et qu'il faut préserver "des financements adaptés à chaque cas". La non-perspective de convergence entre les champs du handicap et des personnes âgées se voit donc une nouvelle fois confirmée.
Réagissant dans un communiqué à l'allocution présidentielle, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF) Claudy Lebreton s'étonne que Nicolas Sarkozy ait affirmé "que la prise en charge de la perte d’autonomie de nos aînés revenait avant tout à la famille et non à la société dans son ensemble", y voyant "une analyse compassionnelle de la situation" et, in fine, une façon d'"ouvrir la brèche du recours à l’assurance privée". Claudy Lebreton s’étonne aussi que l'ADF "n’ait pas été invitée à s’exprimer à l’occasion du lancement du débat national" alors même que celle-ci a, "depuis des mois, lancé une réflexion sur cette question du vieillissement et de l’autonomie des personnes âgées" dont le troisième atelier doit avoir lieu ce mercredi 9 février.
L'association AD-PA, qui regroupe les directeurs de services à domicile et d'établissements pour personnes âgées, s'est inquiétée de son côté de la volonté affichée de favoriser le maintien à domicile et donc, là encore, de renvoyer "à la responsabilité des familles dont on sait combien elles s'épuisent aujourd'hui".
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