Plus de quatre ans après le référendum britannique (le 23 juin 2016), suivi de multiples péripéties et rebondissements (dont deux ans à négocier les conditions du retrait, conclus par un accord le 17 octobre 2019, entré en vigueur le 1er février 2020), le Royaume-Uni ne fait vraiment plus partie de l’Union européenne depuis le 1er janvier dernier. Depuis cette date, qui marque la fin de la période de transition – le RU a quitté l'UE officiellement le 31 janvier 2020 –, il a quitté le marché unique et l’union douanière (et la zone TVA et d'accises), ainsi que toutes les politiques de l’Union et les accords internationaux. C’est la fin de la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux avec l’UE.
La sortie n’est pas "sèche" pour autant puisque le spectre du no deal a été écarté "à la dernière minute", comme l’a souligné le président du Parlement européen David Sassoli, avec l’accord (ou plus exactement les accords, v. infra) trouvé le 24 décembre, après dix mois d’âpres négociations. "Une route longue et sinueuse", selon Ursula von der Leyen, qui connaît ses Beatles (The Long and Winding Road). La sortie de route a même été évitée de justesse, la Commission ayant lancé une procédure formelle d'infraction le 1er octobre dernier contre le Royaume-Uni, en réaction au projet de loi sur le marché intérieur présenté par le gouvernement britannique le 9 septembre, qui lui aurait permis de suspendre unilatéralement des parties de l'accord de retrait, et notamment du protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord.
"Il est temps de laisser le Brexit derrière nous !", s’est exclamée, l’encre à peine sèche, la présidente de la Commission européenne. Tout n’est pas réglé pour autant, loin s’en faut. Comme elle l’a souligné elle-même, citant T.S. Eliot : "Ce que nous appelons le début est souvent la fin. Et mettre fin, c'est prendre un nouveau départ." D'abord, quelques "formalités" doivent être encore conclues, comme l’approbation par le Parlement européen de l’accord, puis son adoption par le Conseil, à l’unanimité (l'accord s'appliquant provisoirement jusque-là). La ratification des parlements nationaux des Vingt-Sept a, elle, finalement été écartée. Surtout, il faut maintenant faire face aux conséquences concrètes de ce départ, notamment économiques. Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, intéressée au premier chef, a appelé à "ne pas chercher à punir les Britanniques" et à faire du "sur mesure".
Ni droits de douane ni quotas
L'accord de commerce et de partenariat limite fort heureusement l'impact à court terme du Brexit puisque qu'il stipule l'absence de droits de douane et de quotas sur les produits et limite les redevances que les douanes peuvent facturer pour les services rendus. Il prévoit également des obligations de non-discrimination garantissant que les fournisseurs de services ou les investisseurs de l'UE ne seront pas traités moins favorablement que les opérateurs britanniques au Royaume-Uni, et vice-versa. Il comporte même une clause prospective de la "nation la plus favorisée" qui permettrait à l'UE et au Royaume-Uni de revendiquer tout traitement plus favorable accordé respectivement par l'un ou l'autre dans leurs futurs accords sur le commerce des services et l'investissement avec d'autres pays tiers – sauf dans le domaine des services financiers.
Des "conditions de concurrence équitables"
L'accord comporte des dispositions garantissant des conditions de concurrence équitables. Les normes actuelles applicables dans les domaines du travail et des normes sociales, de l'environnement et du climat ne peuvent être abaissées d'une manière affectant le commerce ou l'investissement entre les parties. L'accord prévoit en outre la possibilité d'appliquer des "mesures de rééquilibrage unilatérales" en cas de divergences importantes dans ces domaines, par exemple dans le cas où une partie augmenterait considérablement ses niveaux de protection au-dessus des niveaux de l'autre partie, entraînant pour cette dernière une augmentation des coûts de production et un désavantage concurrentiel.
Retour des formalités aux frontières
Pour autant, toutes les importations sont soumises aux formalités douanières (certaines simplifications sont toutefois prévues pour les "opérateurs de confiance") et à des vérifications et contrôles réglementaires à des fins de sécurité, de santé et à d'autres fins de politique publique, les produits devant se conformer aux règles (notamment réglementations techniques) de la partie importatrice.
De même, le Royaume-Uni ayant refusé d'inclure un chapitre sur la mobilité dans l'accord, ou toute disposition visant à faciliter les visites de courte durée ou les séjours de longue durée, les déplacements ne seront plus aussi aisés qu'aujourd'hui, les formalités migratoires étant rétablies.
La seule exception concerne le mouvement temporaire de personnes physiques à des fins commerciales. Les parties se sont accordées sur un large éventail d'engagements réciproques facilitant la capacité des entreprises situées dans une partie à transférer certains employés pour travailler dans une société associée située dans l'autre partie. Les personnes transférées à l'intérieur d'une entreprise constituant une migration temporaire, la durée maximale de ces transferts est plafonnée à trois ans. L'accord facilite également le mouvement de "fournisseurs de services contractuels" ou des indépendants pour fournir des services sous certaines conditions. Les visiteurs d'affaires seront également autorisés à entrer à court terme afin de réaliser certaines activités.
Par ailleurs, les personnes qui se trouvaient déjà dans une situation transfrontalière entre l'UE et le Royaume-Uni avant le 1er janvier 2021 sont couvertes par l'accord de retrait, qui permet le maintien de leur droit de rester, garantit la non-discrimination et protège leurs droits en matière de sécurité sociale. L'accord contient également un certain nombre de mesures de coordination de la sécurité sociale visant à protéger les droits des citoyens de l'UE ou du RU séjournant, emménageant ou travaillant temporairement dans l'autre partie après le 1er janvier 2021.
Les visites de courte durée pourront enfin se faire sans visa (en la matière, le Royaume-Uni doit traiter tous les ressortissants des États membres de l'UE sur un pied d'égalité).
Marchés publics
En matière de marchés publics, l'accord va au-delà des engagements pris dans le cadre de l'Accord de l'OMC sur les marchés publics (AMP), auquel le Royaume-Uni est en train d'adhérer. Les entreprises de l'UE pourront participer sur un pied d'égalité avec les entreprises britanniques aux appels d'offres pour les marchés publics couverts par l'accord, et vice versa. L'accord prévoit en outre la non-discrimination des entreprises de l'UE établies au Royaume-Uni (et réciproquement) pour les marchés en dessous du seuil de l'AMP (de 139.000 euros à 438.000 euros, selon l'entité adjudicatrice, et 5.350.000 euros pour les services de construction). L'accord autorise l'utilisation de ses mécanismes bilatéraux de règlement des différends pour ceux qui pourraient survenir en ce qui concerne les possibilités de marchés publics soumises à l'AMP.
Subventions
Des règles ont également été arrêtées pour proscrire les distorsions créées par les subventions, les pratiques anticoncurrentielles ou les comportements discriminatoires et abusifs des entreprises publiques, notamment afin d'empêcher le détournement des investissements et les pertes d'emplois. L'accord prévoit les principes généraux suivants :
- une contribution à un objectif d'intérêt public bien défini (par exemple la transition verte) ;
- la nécessité d'une intervention de l'État pour remédier à une défaillance du marché (par exemple, assurer des services de bus scolaires vers les villages éloignés) ;
- l'opportunité ou l'effet d'incitation de la subvention (il n'y a pas d'autre mesure disponible qui aurait le même effet) ;
- la proportionnalité de la subvention, compte tenu de ses effets négatifs sur les échanges entre l'UE et le Royaume-Uni.
Il prévoit en outre des principes spécifiques applicables à certains secteurs (transport aérien, énergie, services financiers) ou à des types d'aides (par exemple, sauvetage et restructuration d'entreprises en difficulté, garanties illimitées, subventions à l'exportation, services d'intérêt économique public, projets frontaliers). L'UE et le Royaume-Uni sont également convenus de faire référence dans une déclaration commune à des principes non contraignants sur d'autres subventions spécifiques liées à la recherche et au développement, au développement des zones défavorisées (appelées subventions régionales) et aux subventions au secteur des transports (aéroports, ports, transport routier). Ces principes guideraient les deux parties dans la mise en œuvre et l'élaboration de leurs règles sur les subventions.
En outre, les parties publieront des informations sur un site officiel ou une base de données publique dans les 6 mois suivant l'octroi de la subvention et dans un délai d'un an pour les subventions sous forme de mesures fiscales.
Là-encore, chaque partie a le droit de prendre des mesures correctives unilatérales (par exemple la réintroduction de tarifs ou de quotas sur certains produits) au cas où l'autre partie accorde une subvention d'une manière qui entraîne des effets négatifs importants sur le commerce ou l'investissement. De même dans le cas où une partie aurait un système de contrôle des subventions qui échouerait systématiquement à empêcher l'adoption de subventions ayant des effets de distorsion des échanges.
Pêche
C'était l'un des principaux points d'achoppement. La valeur économique de la pêche dans les eaux britanniques pour les navires de l'UE représente 637 millions d'euros, et en moyenne 12% des captures totales des États membres en valeur (moins de 1% pour l'Espagne mais environ 30% pour la France, 33% pour le Danemark, 38% pour l'Irlande et 43% pour la Belgique). Certains ports français comme Boulogne sont extrêmement dépendants. À l'inverse, le Royaume-Uni capture 110 millions d'euros en valeur de débarquements dans la zone économique exclusive de l'UE 27 (10% de ses captures totales), l'accès aux eaux de l'UE dans la Manche étant d'une importance significative pour certaines communautés de pêcheurs du Royaume-Uni. En outre, une part importante (plus des 2/3) de la production halieutique britannique est exportée vers le marché de l'UE.
Après une période de stabilité de 5 ans et demi, pendant laquelle les règles actuelles en matière d'accès réciproque resteront en place, l'accord prévoit des consultations annuelles pour établir le niveau et les conditions d'accès réciproque aux zones économiques exclusives et aux eaux territoriales de chaque partie. Des changements progressifs seront apportés aux parts de quota pour les totaux admissibles de captures (TAC) des stocks partagés qui comprennent également des stocks gérés de manière trilatérale (par exemple avec la Norvège) ou dans des contextes multilatéraux.
Erasmus
N'ayant pu obtenir une participation partielle au programme Erasmus, qui n'est pas prévue dans l'acte de base du programme, le Royaume-Uni a décidé de ne plus participer à Erasmus. Pendant la période 2014-2020, plus de 7.300 organisations britanniques étaient impliquées dans ce programme, qui a bénéficié à plus de 197.000 participants britanniques.
5 milliards d'euros pour aider à faire face
Par ailleurs, la Commission européenne a présenté le 25 décembre sa proposition de réserve d’ajustement, comme convenu par le Conseil européen des 17 et 21 juillet. Dotée au maximum de 5,37 milliards d’euros (en prix courants, en dehors des plafonds budgétaires du CFP 2021-2027, et si le règlement est adopté par le Conseil et le Parlement), cette réserve est destinée à venir en aide, pendant trente mois (à compter du 1er juillet 2020), aux entreprises, y compris celles dépendantes des activités de pêche dans les eaux britanniques, aux travailleurs (soutien à l’emploi, notamment via des programmes de chômage partiel, de "recyclage" et de formation) mais aussi aux collectivités locales et plus largement les administrations publiques (pour le fonctionnement des contrôles aux frontières, douaniers, sanitaires et phytosanitaires, les régimes de contrôle de la pêche, les certifications et autorisations de produits, l’information des citoyens et entreprises, etc.) les plus affectés par le Brexit. Le budget sera exécuté en gestion partagée avec les États membres. La majorité de l’enveloppe devrait être distribuée cette année, sous forme de préfinancement calculé sur la base de l'impact attendu sur l'économie de chaque État membre, en tenant compte du degré relatif d'intégration économique avec le Royaume-Uni (une enveloppe supplémentaire serait allouée pour compenser les pertes dues aux limitations d’accès aux eaux britanniques pour la pêche). Le solde serait décaissé en 2024, dans le cas où les dépenses réelles excéderaient l’allocation initiale.
Du côté des échanges transmanche, le groupe sénatorial de suivi du Brexit s'est rendu à Calais et à Boulogne-sur-Mer, mercredi, "pour y constater la situation" quelques jours après la sortie du Royaume-Uni de l'UE, "alors que le trafic reprend entre les deux côtés de la Manche – même s’il est ralenti par le confinement durci [mardi 5 janvier] au Royaume-Uni pour freiner la pandémie". "Le délai de préparation des acteurs économiques, notamment de la filière pêche, a été très court après la conclusion in extremis, fin décembre 2020" de l'accord de partenariat commercial, relève dans un communiqué, le groupe conduit par le sénateur LR du Pas-de-Calais Jean-François Rapin. Les sénateurs ont également pu constater les difficultés administratives pour le trafic routier à l'entrée du tunnel sous la Manche, de même que l'activité "particulièrement alourdie" du service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières du fait des nouveaux contrôles à opérer sur les échanges de biens et d’animaux. Enfin, ils se montrent très inquiets "d’entendre les mareyeurs dénoncer le fait que, faute de licences, il leur soit toujours impossible depuis le 1er janvier d’exporter vers le Royaume-Uni le poisson qu’ils traitent".
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